D'où vient la lettre A ?

D'où vient la lettre A ?

Qu’est-ce qu’une écriture ? L’écriture à proprement parler n’existe qu’à partir du moment où se constitue un ensemble organisé de signes et de symboles au moyen desquels les usagers peuvent matérialiser et fixer clairement tout ce qu’ils pensent et ressentent. Pareil système ne s’élabore pas en un jour.

Il existe trois phases dans l’évolution qui mène de l’image à la lettre, du dessin à l’alphabet.

Dans un premier temps, le dessin représente le plus fidèlement possible un objet réel. Ce type d’écriture suppose qu’il existe autant de signes que d’objets. Pour éviter la multiplicité des signes, on inventa certains procédés. Le premier consiste à permettre au dessin non seulement de signifier l’objet dessiné mais aussi certaines réalités rattachées au même objet.

A l’étape suivante, le son du signe initial est préservé mais il ne renvoie plus à l’image ou à l’objet mais seulement au son prononcé. Le signe devient phonogramme et s’associe à d’autres signes-sons comme dans les rébus pour former des mots.

La dernière étape consiste à garder le signe en ne le référant plus ni à l’image, ni au son de l’objet désigné, juste au début du son. Par le principe de l’acrophonie naît alors l’alphabet.

Faisons un Zoom sur la lettre A. La première lettre des différents alphabets, en usage aujourd'hui, est :

  • la lettre arabe | ('alif) prononcée comme une consonne aspirée fortement gutturale à l'attaque du son,
  • le A grec (alpha),
  • l'hébreu א ('alef)
  • et le A latin.

Toutes les quatre se sont développées à partir d'un processus commun qui apparaît dans l'écriture protocananéenne (en référence aux terres de Canaan, le long de la rive orientale de la mer méditerranée) vers -1500 et qui représente la tête d'un bœuf.

Détaillons et datons cette évolution.

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1ère phase (- 4000 av JC) : le dessin représente le plus fidèlement possible un objet réel

Tout commence en Mésopotamie, entre le VI et le 1er millénaire avant notre ère. Plus exactement à Sumer. Ce pays se situe entre deux fleuves, le Tigre et l'Euphrate, là où se trouve aujourd'hui l'Irak.

 

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C’est tout simplement parce que l’on ne peut pas tenir de registre de comptes oralement que naît l’écriture. Vers - 4000 av JC, les premiers signes écrits sur des tablettes d’argile sont des comptes agricoles. Ces premières inscriptions sont des dessins simplifiés appelés des pictogrammes et chacun renvoie à un objet ou à un être désigné.

 

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Par exemple, le signe pour le bœuf est une tête de bœuf, celui pour l’orge est un épi, deux lignes ondulées représentent l’eau.

Le mot cananéen pour bœuf était 'alp. Au commencement de la lettre A était donc le bœuf ou le taureau.

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2nde phase (- 3000 av JC) : le dessin exprime une idée plus large

Vers - 3000 av JC, les pictogrammes primitifs disparaissent. En combinant plusieurs pictogrammes, on commence à exprimer une idée.

Par exemple, la Mésopotamie est un pays entouré de montagnes, le signe http://classes.bnf.fr/dossiecr/atelier/images/2/sq04-01.gifsignifie montagne mais aussi frontière et, au-delà de la frontière, l’étranger. On passe ainsi du pictogramme à l’idéogramme.

Le bœuf avait une grande importance dans une civilisation rurale : force motrice, symbole d’énergie.

Parallèlement, l’image se réduit, elle se met à représenter au-delà du taureau, tout ce qu’il symbolise : force, énergie, vigueur.

lettreA03

 

3ème phase (- 2700 av JC) : l’image devient stylisée jusqu’à perdre le caractère figuratif

Dans la deuxième moitié du deuxième millénaire avec l'ère chrétienne, on peut observer dans l'écriture protocananéenne les modifications suivantes :

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C’est la disparition de l’image figurative. La tête de boeuf devient un simple trait sur lequel reposent les cornes : http://classes.bnf.fr/dossiecr/atelier/images/2/sq04-03.gif

 

4ème phase (- 2500 av JC) : apparition de l'écriture cunéiforme

Au fil des siècles, le système rudimentaire des pictogrammes a évolué progressivement pour aboutir à l’écriture dite cunéiforme « en forme de coin ou de clous ». En effet, les comptables dessinaient des choses ou des êtres avec des « calames » : des roseaux taillés en pointe. Ces calames sont les ancêtres de nos porteplumes. Les sumériens prirent l’habitude de les tailler en biseau. Il ne faut pas croire que ces signes étaient laissés à la liberté de l’artiste. On a retrouvé des listes dressées par les scribes.

cuneiforme

 

5ème phase (- 1900 av JC) : l’alphabet phénicien consonatique non pictographique

Une évolution extraordinaire va se produire. Un progrès décisif consista à faire en sorte que les signes renvoient aux sons des mots de la langue parlée. A l’origine de toute écriture véritable se trouve ainsi cette invention considérable : le phonétisme. Et l’astuce admirable des phéniciens , comme d’ailleurs les anciens égyptiens, a été d’utiliser un procédé aussi simple qu’un jeu d’enfant : le rébus ! Comme dans nos rébus ou un dessin de chat et un dessin de pot n’ont rien à voir avec le félin mais avec un « couvre-chef ». Le phonétisme s’élabora alors de manière très complexe. Au point que pour rendre un peu plus facile l’écriture et la lecture, les scribes sumériens durent user de signes classificateurs qui permettaient de savoir si le signe évoquait un objet ou un son.

L'alphabet phénicien (appelé par convention alphabet protocananéen pour les inscriptions antérieures à 1200 av. J.-C.) (les phéniciens sont les anciens habitants de Canaan) est ainsi un alphabet consonantique non pictographique.

Le mot cananéen pour bœuf était 'alp, mais l'image en tant que signe linguistique ne renvoyait pas au mot dans son entier mais uniquement au premier son qui était prononcé ; la tête de bœuf n'avait donc qu'une valeur acrophonique. Ainsi, l'image de la lettre ('alp) signifie le son consonantique ('), qui n'existe pas dans les langues européennes.

Avec le temps et une dimension trop souvent négligée dans l'évolution des langues, aussi bien à l'écrit qu'à l'oral, la divine paresse, la forme de l'image du bœuf se modifia.

C'est à peu près vers -1000 qu'on trouve la forme classique du phénicien ('alef) :

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6ème phase (- 1100 av JC) : les grecs adoptent l'alphabet protocananéen

L'alphabet phénicien est devenu l'un des systèmes d'écriture les plus utilisés, transmis par les marchands phéniciens dans le monde méditerranéen où il a évolué et a été assimilé par de nombreuses cultures.

L'alphabet grec (et par extension ses descendants, les alphabets latin, cyrillique et copte) est un successeur direct du phénicien, bien que la valeur de certaines lettres ait été changée pour représenter les voyelles.

Lorsque les Grecs vers -1100 adoptère l'alphabet protocananéen, la forme définitive des ('alef) n'était pas encore constituée. En grec ancien, vers les 8è et 7ème siècles avant l'ère chrétienne, on trouve trois formes différentes de (alpha). L'une ressemble au phénicien ('alef) et les deux autres opèrent comme un mouvement de rotation.

C'est cette dernière forme qui fut adoptée dans l'écriture grecque.

alephA

 

 

7ème phase : le A devint la première lettre de notre alphabet latin.

Tous les autres peuples en dehors des Grecs qui adoptèrent le système d'écriture alphabétique, y compris les Romains, utilisèrent cette même forme. C'est ainsi que le A devint la première lettre de notre alphabet latin.

Mais les Grecs n'utilisèrent pas cette lettre comme consonne ('), qui n'existe que dans les langues sémitiques, mais comme signe de la voyelle A.

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Liens

Lecture : L’écriture Mémoire des Hommes Découvertes Gallimard

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