Vous connaissez surement cette petite carte que l’on trouve dans nos boites aux lettres, déjà affranchie, pour renseigner et mettre à jour l’index relevé du compteur d’eau ?
Il m’est arrivé un petit souci dernièrement : j’ai bien rempli les informations, j’ai posté cette carte comme je l’ai toujours fait auparavant, sauf que cette fois-ci la carte m’est revenue ? En effet, comme il y a deux adresses : celle de la régie des eaux côté recto et ma propre adresse propriétaire du compteur côté verso : l’agent postal s’est trompé.
Ce qui m’amène au sujet d’aujourd’hui : le « poka yoke » ou l’art du « détrompage » !
1- L’invention du Poka Yoke
Un poka-yoke est un mécanisme permettant à un opérateur d’éviter (yokeru) les erreurs (poka).
Le système détrompeur poka-yoke est l'invention d'un ingénieur, Shigeo Shingo (1909-1990), employé chez Toyota. C'est lui qui a créé la méthode SMED (single minute exchange of die(s)), qui permet de changer un outil en moins de 10 minutes dans un processus de production. Il s'est beaucoup intéressé aussi au contrôle de la qualité et à tout ce qui pouvait amener une organisation vers le « zéro défaut ». C'est dans ce registre qu'il a été amené à construire le poka-yoke. L'idée est de concevoir un outil qui empêche l'erreur de se produire. Mieux vaut prévenir que guérir !
L’humain peut commettre une erreur pour diverses raisons comme le manque de concentration, la non-qualification ou la fatigue. Malgré son application et son implication, l’humain est condamné à effectuer une erreur à un moment donné si l’on se réfère à la loi des probabilités. Cependant, une erreur humaine peut causer d’importants dégâts au sein d’une entreprise. Dans le cas de la construction automobile par exemple, cela peut amener l’entreprise à rappeler des milliers de modèles pour cause de « défauts de fabrication » ce qui ne constitue jamais une bonne publicité. Le Poka-Yoké vise ainsi à optimiser la fiabilité des produits issus du travail d’un être humain en amenant le taux d’erreur à 0.
En résumé, reconnaître ces faiblesses et en prévenir les effets est le rôle du Poka-Yoké :
- Il est impossible pour un humain de maintenir une attention permanente et soutenue pour garantir la qualité. Dans un cycle d’opérations répétitives, il faut tenir compte de la fatigue et de la lassitude,
- Les instructions ne sont pas toujours claires ni bien comprises,
- Des choix peuvent être laissés au jugement de l’exécutant,
- Des degrés de liberté existent, que l’exécutant peut « mal » utiliser,
- Des pièces ou matériaux semblables sont disponibles simultanément.
2- Différents types de Poka-Yoke
Le Poka-Yoke « digne de ce nom » doit avoir trois qualités :
- Peu coûteux,
- Efficace,
- Basé sur la simplicité et l’ingéniosité.
À noter aussi qu’il existe deux types de Poka Yoké à savoir :
- celui d’avertissement (prévenir),
- celui d’alerte (détecter).
Le premier vise à empêcher l’erreur de se produire tandis que le second déclenche des signaux lorsque le processus présente une anomalie.
On dit de plus que le Poka Yoké à 3 jambes : Contact, Valeur et Mouvement.
Enfin, cette approche de la production correspond parfaitement à la culture de l’amélioration continue, qui appartient également à l’arsenal du « lean management ».
3- Méthode de contact
Il s’agit ici de créer un Poka Yoké à partir d’une reconnaissance de forme.
Un dispositif Poka-Yoke appartenant à la catégorie des méthodes de contact est utilisé pour informer toute personne ou machine impliquée dans le processus de fabrication d'un produit de l’état actuel du produit et ce, en détectant un contact physique ou un contact avec une source d’énergie (ex. un faisceau photoélectrique).
Généralement, ces détrompeurs de contact remplissent la fonction « tout ou rien » ; ils obligent l'opérateur à ne pas faire d'erreur. Car l’opération en cours ne peut être réalisée que si la « condition » est remplie, et l’opération suivante ne peut se poursuivre que si la précédente a été parfaitement réalisée. On retiendra :
- L’usage des gabarits : empêche l’opérateur de se tromper sur les dimensions, le poids, ou la forme des objets. Il retient tout objets à la géométrie non-conforme ;
- Particularisme morphologique : vérifie l’asymétrie des objets et empêche l’opérateur de monter un outil à l'envers ;
Exemples :
- Prévenir l’erreur par un bloc de guidage : on contraint l’emplacement de la pièce dans un endroit évident. L'exemple de la ceinture de sécurité non bouclée qui empêche la voiture de démarrer fait partie de cette catégorie d'outil anti-erreur. Dès que vous lâchez la poignée de la tondeuse, le moteur s’éteint. Cela vous évite de perdre la main pendant des éventuelles manipulations sur l’engin.
- Détecter l’erreur par un capteur de poids : un moyen rapide et facile de déterminer s’il manque des pièces à un produit. Exemple : les caisses automatiques de supermarché.
4- Méthode de la valeur fixe
Le Poka Yoké est créé à partir de la détection par comptage d’un nombre préétabli de mouvements pour réaliser un processus de manière optimale.
La méthode des valeurs fixes s’applique aux sources d’erreur qui surviennent lorsqu’une certaine valeur fixe n’est pas respectée. Cela peut simplement être le nombre de vis dans une pièce, le couple de serrage par lequel un boulon est limité ou le nombre de fois qu'un produit est étiqueté. Peu importe le genre de fabrication, il existe inévitablement des étapes dans le cadre du processus de fabrication nécessitant qu'une valeur fixe particulière soit respectée pour se conformer aux normes de qualité.
C'est le signal sonore permanent qui se met en place lorsqu'une opération est manquante dans une procédure et qui ne s'arrêtera que lors de l'exécution de cette opération.
Ils signalent une erreur, un manquement à une condition ; ils indiquent sur le lieu et la nature de l’erreur ; et sont parfois munis d’un guide qui précise l’action corrective à mettre en œuvre.
Cela concerne les signaux sonore et lumineux : usage d’un signal sonore ou d’un voyant pour signaler une défaillance. Ex. voyant lumineux du tableau de bord qui signale lorsqu’une portière du véhicule est ouverte ;
Exemples :
- Prévenir l’erreur : sur un poste de travail, un distributeur peut introduire la quantité requise de pièces dans une corbeille de sorte que le bac soit vide à la fin de chaque cycle ce qui permettrait d'assurer que le bon nombre de pièces a été utilisé.
- Détecter l’erreur : une lumière ou une alarme peut être déclenchée lorsqu'une valeur fixe n'est pas atteinte. C'est pour cette raison que certaines voitures sonnent lorsque l'on ouvre la portière alors que leurs feux sont allumés, dans le but d'éviter de vider la batterie par oubli.
L’alarme incendie est un bon exemple car :
- Elle prévient l’erreur lorsque les piles sont déchargées,
- Elle détecte l’erreur en cas de fumées.
5- Méthode de séquence ou chronologique
C'est une suite d'opérations à caractère obligatoire à réaliser chronologiquement pour mettre en route une machine, ainsi la vérification effectuée par un pilote d'avion lors de la prise des commandes. Ce sont les procédures écrites : suite d'opérations ou de contrôles à caractère obligatoire à accomplir chronologiquement pour mettre en route un appareil.
Exemples :
- Prévenir l’erreur : on instaure un schéma de numérotation : les pièces sont assemblées selon l'ordre d'assemblage prescrit.
6- Les techniques d’inspection dans le Poka-Yoke
Le Poka-yoke peut être mis en œuvre à n'importe quelle étape d'un processus de fabrication où une erreur peut être commise. Les poka-Yoke doivent être imaginés le plus tôt possible avant même la production du premier produit. Durant la phase de conception, le concepteur pourra imaginer une construction anti-erreur permettant, par exemple, d’éviter toute erreur d'assemblage. Durant la phase d'industrialisation, le méthodiste devra réfléchir aux manipulations.
Pour qu’aucune erreur ne passe inaperçue dans le développement et la livraison d’un produit, le Poka-Yoke impose plusieurs types d’inspection. On en dénombre principalement trois :
- L’inspection par jugement : l’inspection consiste ici en la vérification de l’ensemble des pièces de chaque lot produit. Le but étant de pouvoir séparer les pièces conformes des défectueuses.
- L’inspection informative : après l’inspection par jugement, il faudra maintenant continuer par une analyse du comportement des différents processus en se basant sur les données collectées de la ligne de production. C’est aussi durant cette phase d’inspection que l’on corrige les erreurs s’il y en a après l’analyse.
- L’inspection de source : ce dernier type d’inspection consiste à vérifier si toutes les conditions requises pour garantir la qualité sont réunies dans le processus de production. S’il y a une erreur, le système Poka-Yoke permettra de la détecter en un rien de temps. Et ici, soit il nous avertit, soit il stoppe tout simplement le processus jusqu’à ce que l’erreur soit corrigée.
7- Le Poka Yoke dans l’administration
On peut utiliser des poka-Yoke dans n’importe quel domaine. En administration, cela peut se traduire par :
- Des « post-it » pour éviter d’oublier certaines actions importantes,
- Des « marques page »,
- Des mails standards,
- Des check-lists pour des tâches répétitives (ex : reporting),
- Des formulaires standards pour structurer l’information à recueillir et ne rien oublier,
- etc
8- Les contraintes du Poka-Yoke
Mais ces exemples montrent bien aussi que les Poka Yoké mal utilisés peuvent être des sources d’irritation ou de perte de temps. Les capteurs de sécurité sont indispensables mais peuvent rendre très difficile la maintenance ou le nettoyage d’une machine. Les dispositifs anti-erreur d’un logiciel peuvent rendre impossible leur utilisation lorsque des cas non prévus se présentent (par exemple, vous n’avez pas le numéro de téléphone de votre interlocuteur et vous n’êtes pas autorisé à mettre « zéro » chiffre !). Les Poka Yoké doivent donc être bien conçus, idéalement en collaboration avec leurs utilisateurs.
9- Le Poka Yoke et le management
Pour mieux contrôler la "bonne" exécution des tâches, il est tentant d'imposer aux acteurs de terrain des procédures ultra précises et contraignantes qui interdisent tout écart. Mais il faut se méfier de l’extrême qui peut tuer toute responsabilité et créativité.
En conclusion, si l’on en revient à notre carte de la régie des Eaux : il fallait juste, comme sur les formulaires de lettre recommandée par exemple, barrer l’adresse du propriétaire du compteur.
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