Les leçons d’économie d’Obelix et Compagnie

Les leçons d’économie d’Obelix et Compagnie

La bande dessinée, Obélix et compagnie, une aventure d'Uderzo et Goscinny, parue en 1976, est en fait une excellente vulgarisation économique. Cette bande dessinée est parfois utilisée comme étude de cas en classe d’économie de premier cycle, pour son analyse de l’intervention de l’État, et la dénonciation des économies « mono-produit ».

Un album d'Astérix plutôt sympathique qui se concentre sur Obélix. Astérix est donc relégué au second plan même s'il restera le détonateur de la solution qui rapportera la paix au village avec l'aide de Panoramix le druide.

 

 

C’est la force des grands auteurs, et Uderzo et Goscinny sont des très grands, que d’arriver à exprimer, dans des histoires d’enfants, les thèmes fondateurs de l’humanité et ainsi de pouvoir être lus à tous les âges.

L'histoire :

Rome ne sait plus comment résoudre le problème du village d'Astérix. Caius Saugrenus, un "Nearque" veut développer l’activité économique du village pour pousser les Gaulois à travailler "pour produire" au lieu de se battre.

Saugrenus a trouvé le pigeon de rêve : Obélix. Il commence par acheter un menhir, puis deux, puis tout ce qu’Obélix sera capable de produire. A chaque visite, il prend le temps d’expliquer quelques bases de l’économie de marché à son fournisseur pour que ce dernier transforme progressivement l’économie du village en une industrie du menhir subventionnée par les achats de Rome.

Obélix finit par avoir trop de travail. Il embauche donc un chasseur qui lui ramène des sangliers. Puis il embauche des employés pour l’aider à tailler des menhirs. Saugrenus lui conseille d’améliorer sa logistique et sa garde-robe. La femme d’Agecanonix est donc embauchée comme couturière et il commence à payer un livreur à char pour optimiser le transport.

L’économie du village est chamboulée, tout comme la bonne humeur des villageois. Astérix décide d’agir en utilisant la jalousie des autres villageois. Il leurs suggère de faire eux aussi des menhirs. Et bientôt, du poissonnier au maréchal ferrant, tout le village est occupé à faire des menhirs ou à chasser pour nourrir les tailleurs de menhirs.

Cette augmentation brutale de la production pose deux problèmes à César : le stockage de tous ces menhirs inutiles et surtout leur coût exorbitant. Saugrenus pense avoir trouvé une solution : le marketing. Il compte créer artificiellement une demande en menhir grâce à la publicité. Il a même prévu de faire des produits dérivés pour augmenter encore plus les rentrées d’argent.

Au début, son idée fonctionne bien. Mais voyant qu’il existe un marché, les producteurs romains commencent eux aussi à faire des menhirs, puis c'est le tour des égyptiens et des grecs, ce qui ne tardera pas à saturer le marché entraînant la baisse des prix unitaires. Du coup César se retrouve avec des caisses vides et des stocks invendables. Il ordonne à Saugrenus de retourner en Gaule pour arrêter d’urgence les achats de menhirs gaulois.

Bien entendu, l’arrêt brutal des achats enraye toute l’économie du village qui était basée sur une mono activité. Les tensions qui en résultent poussent les gaulois à se bagarrer jusqu’à ce que Astérix canalise leurs rancœurs en direction des romains en leurs rappelant que cette situation est leur faute.

Les habitants attaquent alors le camp de Babaorum pour donner une bonne leçon aux romains. Bien entendu, après s’être défoulé, ils vont tous oublier leurs petits différents autour d’un grand banquet.

Analysons maintenant les différentes théories économiques cachées en arrière plan.

La relance économique par l'intervention de l'Etat :

Les commandes initiales de Saugrenus peuvent se comparer à l’intervention de l’Etat. Le menhir, objet inutile par excellence, n’a pas de prix mais Saugrenus va arbitrairement lui en donner un, qui va monter rapidement.

C’est l’une des idées principales de Keynes (1883 – 1946) : relancer l’économie grâce à la dépense de l’État, chaque euro dépensé par celui-ci rapportant davantage à l’économie générale (c’est le « multiplicateur keynésien ») par effet d’enchaînement.

À la page 15 case 3 on constate que les Gaulois pratiquaient le troc. Saugrenus introduit la monnaie qui a des fonctions économique, mais aussi politiques et sociales. Comment sont déterminés les prix ? Il faut bien sûr tenir compte des coûts de production, mais ensuite la confrontation de l’offre et de la demande joue un rôle déterminant. Quand la demande est supérieure à l’offre, le prix augmente. A la page 15 le menhir vaut 200 sesterces, à la page 17, 400 sesterces, à la page 19, 800 sesterces.

A Rome, le besoin se fait sentir de vendre des menhirs. Ici rentre en jeu le marketing, présenté comme une méthode scientifique pouvant faire vendre n’importe quoi, notamment sur la base de lois sociales comme le snob effect (ce qui rend jaloux les voisins) cf page 36 case 3.

À la page 37 case 1 et 5 : c’est la campagne publicitaire : "du beau, du gros, du menhir". Le menhir a pour cible la famille : un couple, un enfant et . . . un menhir conduisent au bonheur. Le menhir sert également à vendre des produits dérivés cf page 38 cases 2, 3, 4, 5 : des toges, des bijoux, des cadrans solaires.

On a même pensé à l’obsolescence programmée, brièvement citée par Caius Saugrenus : « Nous devrions fabriquer des menhirs dans des matériaux moins solides ; le côté inusable n’est pas idéal pour les affaires ».

La société de consommation :

La croissance est une condition nécessaire, mais non suffisante au développement de la société qui est une notion qualitative. On constate dans l’album que la croissance s’accompagne d’une transformation des rapports sociaux et du système des valeurs. Dans l’ensemble les mœurs corrompues, Obélix étant le premier touché par l’appât du gain et tournant le dos à ses amis.

A la page 18, Obélix embauche des chasseurs de sangliers et à la page 21 des tailleurs de menhirs et à la page 26 un livreur de menhirs alors qu’auparavant il faisait tout lui-même. C’est l’arrivée de la division du travail (Les Temps modernes de Charlie Chaplin). Certains économistes y voient une source d’efficacité mais les sociologues s’interrogent sur son impact sur l’individu.

Dans le village, on respecte le chef qui fut un guerrier valeureux (pouvoir charismatique) et le druide (pouvoir traditionnel). Ainsi, dans les sociétés traditionnelles, ce sont les personnes âgées qui occupent les places les plus prestigieuses, elles ont acquis la sagesse et les connaissances.

Dans les sociétés modernes, c’est l’inverse. Plus les choses changent rapidement, plus les personnes âgées sont exclues, car leur savoir est devenu obsolète.

A la page 27 Saugrenus explique à Obélix, que désormais puisqu’il est devenu un chef d’entreprise important, il ne doit plus décharger les menhirs qui sont dans le chariot (c’est le travail des employés) ; à la page 24 et à la page 29, on explique à Obélix qu’il ne doit plus s’habiller de la même manière. Une seule image restera pour Astérix : la vision d’Obélix « nouveau riche », empaqueté comme un cadeau pour mardi gras dans d’ostentatoires vêtements.

Parmi les grandes critiques adressées aux plans de relance keynésiens, on trouve l’ « effet d’éviction » : le soutien apporté à quelques-uns leur permet d’accéder à des ressources qui sont perdues pour d’autres, qui les auraient peut-être mieux utilisées. D’une manière générale, l’effet direct est de détourner les facteurs de production de leur utilité naturelle vers un secteur artificiellement stimulé : le chariot du marchand se transforme en chariot à menhirs, la poissonnerie perd ses ressources humaines au profit de l’industrie monolithique. Quant au caractère injuste de cette éviction, il est sans doute ressenti par les consommatrices du village, agglutinées autour du chariot du marchand ambulant, lorsqu’Obélix, arrivant les mains pleines des sesterces de Saugrenus, déclare « J’achète tout ! ». Un désagrément que subit aussi le chef Abraracourcix qui perd ses porteurs, dont le travail est désormais absorbé par la « bulle du menhir ».

A la page 38, nous voyons que les Romains se sont mis à fabriquer des menhirs, puis à la page 40 case 7 : « le menhir égyptien » fait son apparition : la concurrence fait rage et le représentant du menhir romain demande des mesures protectionnistes pour préserver l’emploi à Rome (page 39 case 6 : "du travail pour nos esclaves » . . . Non au menhir gaulois".) Le débat Libre-Échange/Protectionnisme est ouvert.

La crise :

Finalement, les finances de César sont désastreuses, si bien qu’il ordonne la fin de l’aide au menhir gaulois. La bulle éclate, et comme elle occupait nombre de travailleurs, l’économie romaine toute entière s’effondre. Lorsque le village l’apprend, les habitants s’insurgent et attaquent le camp romain. Il n’est jamais aisé de mettre un terme aux « acquis sociaux » et aux privilèges : cela provoque une irruption des grèves et des révoltes. Le cours du sesterce s’effondre et les Gaulois se retrouvent avec une masse monétaire qui ne vaut plus rien.

À la page 48 case 5 nous apprenons que le sesterce a été dévalué.

 

Cette caricature n’a donc rien perdu de sa saveur aujourd’hui. Nous n’échapperons pas à un plan de relance après la fin du coronavirus.

Bonus : les clins d'oeil :

Page 12 : NEA = ENA. Nouvelle école d’affranchis = École nationale de l’administration.

Page 13 : satire des conseillers de César qui, devenus riches, ont perdu toute volonté.

Page 19 : satire du langage des spécialistes.

Page 24 : le vêtement, signe de distinction sociale.

Page 27 : Laurel et Hardy.

  • planche 2 case 5 : deux légionnaires caricaturant les auteurs Goscinny et Uderzo portent un troisième légionnaire ivre mort qui est une caricature de P Tchernia
  • planche 23 case 5 : le duo de légionnaires est une caricature de Laurel et Hardy
  • Planche 8 case 7 : Caius Saugrenus, qui sort de la « Nouvelle Ecole d’Affranchis », est une caricature des Enarques, souvent accusés de tous les maux en France. Uderzo lui a d’ailleurs donné les traits de Jacques Chirac (promotion Vauban) alors jeune premier ministre de la France.

 

La 32e planche de l'album, décrivant l'exposé économique et commercial de Saugrenus à propos des menhirs à vendre, est particulière : il s'agit de la millième planche de la bande dessinée Astérix. Pour l'occasion, à la fin de la planche, deux encadrés sont disposés, l'un est la signature « Uderzo & Gosciny », l'autre est « M : Albo Notamba Lapillo », signifiant en latin « Mille : à marquer d'une pierre blanche ». Néanmoins, une faute d'orthographe est volontaire, pour que Notamba se lise « Note en bas », l'expression correctement orthographiée donne Albo Notanda Lapillo.

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PERSONNES : @asterixofficiel  @Cercle_eco @AlterEco_

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